La silice, au Rajasthan, est comme la farine chez le boulanger, si présente et naturelle, inhérente à l’activité, qu’on peine à imaginer son action dévastatrice. Le pain est bon, le marbre est beau. Comme la farinose, la plus commune et pourtant méconnue maladie des métiers du pain, la silicose, n’est pas ou peu considérée. En Europe elle fut la maladie des mineurs du charbon, en Inde, elle est, entre autres, la maladie des ouvriers du marbre.
C’est une maladie professionnelle qui guette non seulement un ouvrier sur deux, mais aussi leur famille qui vivent aux alentours.
Parmi les onze femmes que j’ai photographiées, deux sont atteintes, une est aujourd'hui décédée.
Alors, lorsque ces femmes posaient pour moi, je voyais la poussière de marbre, envahissante, délicate. Éminemment photogénique, comme un philtre posé, tamisant la lumière, absorbant les éclats et reflets. Je me suis dit, elle est là, elle ravage insidieusement leurs poumons, comme le nénuphar qui envahit les poumons de Chloé dans « L’Écume des jours », de Boris Vian.
J’ai pénétré leurs maisons, leur confiance m’honore. En ces lieux, la poussière de marbre m’avait précédée, souillant les lieux, les cavités, les intérieurs, des maisons, des êtres.
Ce travail de montage de onze portraits aborde de manière allégorique le problème de l’exploitation du marbre. Chacun d’eux présente une image humaine paisible cadrée par une fine ligne de démarcation qui symbolise la fragilité, la vulnérabilité. Par-delà cette ligne, les plantes qui côtoient les carrières traitées à l’hémoglobine. Plantes couvertes de silice elles-aussi. J’ai voulu ainsi évoquer le foisonnement cellulaire de la maladie qui finira par en tuer certaines.